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Depuis le début de l’humanité, l’Homme s’est toujours interrogé sur la Mort et sur sa mort. Pour l’aider à franchir ce passage redoutable et peut-être retrouver une autre forme de vie dans l’au-delà, il a institué progressivement une multitude de rites funéraires qui ont évolué à travers les siècles suivant l’influence des mentalités, des modes de vie, des us et coutumes, des religions, des symboles et des cultures des peuples. Les rites funéraires découlent en partie de plusieurs civilisations ; chacune d’elle s’est inspirée ou a adapté des symboles et des pratiques en fonction des échanges commerciaux, des conquêtes guerrières et l’apport d’autres coutumes. Ainsi les Grecs ont repris des pratiques du centre de l’Europe, orientales et égyptiennes, les Romains celles des Grecs, les Celtes et les Gaulois, celles des peuplades qui les précédaient pour l’inhumation ou la crémation. Les lieux de sépultures personnels, familiaux ou collectifs évolueront également très largement à travers les temps. L’art funéraire des tombeaux si riche dans l’Antiquité disparaîtra presque complètement dans le Haut Moyen Âge pour retrouver à partir du XIIe siècle la splendeur d’autrefois avec les gisants, les orants et les grands tombeaux de la renaissance érigés et décorés par les plus grands sculpteurs de l’époque. Pourtant largement pratiquée par les premiers métallurgistes venant du centre de l’Europe, ceux qui inventèrent le bronze et le fer puis dans l’Antiquité par les Grecs et les Romains, la crémation disparaît pratiquement dès la chute de l’empire romain. Les Romains conservaient les cendres dans des urnes qui pouvaient être en terre cuite ou en verre. Ces urnes parfois insérées dans un récipient protecteur en pierre ou en plomb pour être inhumées, pouvaient également être scellées sur des monuments magnifiques sur lesquels figuraient des épitaphes, les statues des défunts. Les tombeaux étaient érigés très visiblement le long des voies d’accès aux cités pour honorer les morts en entrant dans la ville. Après la conquête franque de la Gaule et le développement de l’ère chrétienne, l’inhumation sera presque exclusivement le seul mode de séparation en raison du symbole de la mise au tombeau du Christ et de la croyance en la protection des Saint-Martyrs. Sur les lieux de sépulture des martyrs que l’on a gardé parfois secrètement en mémoire, les croyants vont construire des oratoires et des églises pour venir y prier pour leur âme. Mais, contrairement aux prescriptions romaines de la Loi des xii Tables qui interdisaient d’être inhumé ou incinéré à l’intérieur des cités, une coutume chrétienne va s’instituer en France, celle de se faire inhumer à l’ombre de la croix. Ce privilège sera accordé aux grands du Royaume, les rois et les reines puis aux prélats de l’Église. Clovis, la reine Clotilde et Dagobert furent parmi les premiers à en bénéficier. C’est le début d’une longue tradition : le culte des martyrs ! À partir du Haut Moyen Âge, les riches chrétiens ou les personnages de notoriété publique purent aussi obtenir cette faveur très recherchée en faisant des dons importants à l’Église qui trouva là, une source de financement considérable. Les sages prescriptions romaines qui séparaient géographiquement les morts des vivants vont disparaître. Autour de l’église ou à l’intérieur, près des saintes reliques, les défunts y seront inhumés parfois sous le dallage directement et, si possible à l’endroit où ils venaient y prier de leur vivant. Ainsi, le cimetière, sous l’autorité de l’Église, s’établit progressivement à l’intérieur des villages, des bourgs et des villes ; il constitue avec l’église, l’âme des cités. Cette pratique perdurera malgré de graves problèmes d’épidémies et de salubrité publique jusqu’à la période révolutionnaire qui, malgré de bonnes intentions, n’a fait qu’aggraver la situation. À partir du XIe siècle, le cimetière qui bénéficie du droit d’asile et de la protection de l’Église devient un véritable lieu de rencontres sociales et d’exercice de petits métiers : écrivains publics, baladins, femmes de petite vertu… Plusieurs conciles s’insurgent contre de telles pratiques ; Louis XIV, lui-même, avec l’approbation sans doute du Révérend Père-Lachaise et de Madame de Maintenon est amené à prendre un édit pour les interdire. Avec le temps et la surmortalité due aux grandes épidémies du Moyen Âge, l’Église qui a la charge « des corps et des âmes » va être confrontée à de graves problèmes de place et d’effectifs pour organiser les funérailles et les lieux de sépultures. Pour faire face à ces milliers de morts au cours des épidémies de pestes dévastatrices du Moyen Âge et pouvoir disposer de gens pour les enterrements, l’Église va encourager la création des sociétés de charitables, sorte d’associations mutualistes qui se chargeront, bénévolement, au moyen de cotisations, non seulement des aspects matériels des funérailles mais aussi, en partie, de leur caractère spirituel. Les corporations de métiers créeront également des sociétés charitables. Plusieurs exercent encore aujourd’hui en France. La sépulture va devenir collective pour la plupart de ces fidèles. En effet, les pauvres de loin les plus nombreux de la population, étaient enterrés en fosses communes dans le cimetière, en terre bénie autour de l’église et des établissements hospitaliers. La fosse commune d’une dizaine de mètres de profondeur pouvait contenir jusqu’à 2000 cadavres avec un simple linceul et entassés par lits recouverts d’une fine couche de terre. Puis on recommençait jusqu’à ce que la fosse soit pleine. Lorsque les fosses communes devaient être à nouveau réutilisées, les ossements étaient placés dans les charniers, sorte de cloîtres qui entouraient les cimetières et comportant des planchers sous toiture. Dans les églises, les combles servaient également de charniers où les restes mortels finissaient de se consumer. Les charniers pouvaient être décorés par des fresques appelées « danses des morts ou danses macabres ». Le thème comportant de nombreux tableaux et des stances, s’appuyait sur la brièveté de la vie et les vanités humaines. Les danses macabres qui étaient de véritables fresques de la société montraient au peuple, que la Mort n’épargnait personne et combien les hommes, même les plus grands (le Pape, le Roi…) étaient égaux devant elle. L’une des plus célèbres à Paris était celle du cimetière des Innocents peintes à partir de 1423. Aujourd’hui, il reste encore quelques danses macabres en France et en Europe. Le délai rapide de rotation des corps et de la réutilisation des fosses communes explique la création des charniers sous l’Ancien Régime où les cimetières étaient très petits. Le plus grand cimetière de Paris, celui des Innocents, ne mesurait qu’environ 120 mètres de long sur 60 mètres de large. Chaque paroisse ou établissement religieux possédait son cimetière. Il en existait plus de deux cents dans la capitale. L’accumulation des corps dans les chapelles, églises et cimetières saturés ou encore dans les charniers totalement remplis entraînèrent une insalubrité insupportable dans les villes qui souleva, pendant de nombreuses décennies au XVIIIe siècle, de vives protestations de la population. Après enquête, le Parlement prit, le 21 mai 1765, un arrêt prescrivant le transfert hors des limites des villes, les cimetières intra-muros et pour limiter, à un très petit nombre, les personnes à inhumer dans les églises. C’était en fait, à quelque chose près, revenir aux prescriptions romaines. Le clergé s’opposa plus ou moins à cet arrêt dont les mesures ne furent pas appliquées. Mais les protestations des populations voisines des églises et des cimetières continuèrent. C’est finalement, Louis xvi qui, le 10 mars 1776, interdit, par Déclaration royale, les inhumations dans les églises. En fait, il fallut attendre le scandale du cimetière des Innocents, le 30 mai 1780 pour que les prescriptions de 1765 et 1776 soit reprises. Les événements du cimetière des Innocents marquent une étape importante dans l’histoire funéraire et les mentalités de l’époque. Ce cimetière des Innocents, avait été créé au IXe siècle en dehors de la capitale, le long de l’ancienne voie romaine conduisant vers les provinces du nord, les Flandres et l’Angleterre. Avec l’expansion de Paris, ce cimetière très petit s’est retrouvé en plein cœur de la Capitale envahi par la Ville. On y pratiquait, bien sûr l’inhumation, en linceul et en fosses communes. Comme beaucoup, il était entouré de murs qui formaient une construction en forme de cloître comportant des combles sous toiture qui servaient à stocker les ossements lorsque l’on vidait les fosses communes. C’était le charnier de cette nécropole. Ainsi, en 1780, on y inhume depuis 1000 ans dans des conditions épouvantables concernant l’hygiène. Le cimetière est évidemment saturé et les terres se sont exhaussées de deux mètres par rapport au niveau des rues adjacentes. Depuis de nombreuses années, la population réclame la fermeture de ce cimetière putride. L’éboulement de l’un des murs de ce cimetière et le déversement des fosses communes contenant des cadavres en pleine décomposition dans les caves et les entre-sols des immeubles, rue de la lingerie, souleva une fois de plus de vives protestations de la part de la population qui entraîna une prise de conscience des autorités civiles et religieuses. Cette fois, elles décidèrent de fermer ce cimetière et de le raser. Mais où mettre ces monceaux d’ossements anonymes ? C’est alors que l’Inspecteur général des Carrières, Charles-Axel Guillaumot suggère de déposer tous ces ossements dans les carrières de Paris. L’idée est retenue et en accord avec les autorités religieuses, le lieutenant de Police Thiroux de Crosnes ordonne à Charles Guillaumot, par Arrêté en date du 9 novembre 1785, de choisir et d’aménager convenablement, un endroit en carrière, pour y recevoir les ossements exhumés. Charles Guillaumot fit donc exécuter les travaux nécessaires (11000 m2) dans les carrières du lieu dit au nom prédestiné de « La tombe Issoire ». Le 7 avril 1786, les autorités religieuses vinrent bénir les catacombes en présence des autorités civiles pour consacrer ces lieux qui deviendront plus tard le plus grand ossuaire du monde. L’inscription d’accueil gravée sur la porte d’entrée de l’Ossuaire vous donne froid dans le dos : « Arrête, c’est ici l’empire de la Mort » Le soir même, le transfert de nuit des ossements du cimetière des innocents commença ; il dura 15 mois. « La nuit, de longues suites de charrettes recouvertes de draps noirs, escortées de pauvres, porteurs de flambeau et de prêtres en surplis chantant l’office des morts traversaient Paris, avec lenteur, cahin-caha, en semant, parfois, quelques débris de leurs macabres chargements. » Les habitants excédés à la longue par le passage de ces processions lugubres obtinrent finalement que ces cortèges se déroulent en silence ». Les catacombes n’ont pas seulement été utilisées pour recevoir les restes mortels du cimetière des Innocents mais à partir de 1787 et durant tout le XIXe siècle, les ossements des nombreux lieux de sépultures situés dans Paris en particulier dans les églises et les autres établissements religieux ou hospitaliers. La provenance des débris humains et les dates de transfert figurent devant les espaces aménagés où ont été entreposés les ossements. La période révolutionnaire fut très riche, bien entendu, d’événements liés à la mort, aux funérailles et aux cimetières. Pourtant, en juillet 1790, l’Assemblée Nationale renouvela l’interdiction d’inhumer à l’intérieur des églises. En mai 1791, elle supprima tous les cimetières intra-muros dont elle ordonna la vente comme biens nationaux dans un délai de 10 ans et elle transféra la propriété des cimetières aux autorités communales. Mais avec la persécution des prêtres, la dissolution des sociétés charitables et le passage de la guillotine, la situation ne fit qu’empirer. Le bourreau accrédité de l’époque, Samson et ses aides, devaient enterrer les victimes au plus vite. Ainsi, par exemple, lors des exécutions de Louis XVI et de Marie-Antoinette leurs corps furent inhumés presque anonymement dans le cimetière le plus proche qui était déjà saturé, celui de la Madeleine. D’ailleurs il fut fermé en 1794 et mis en vente. C’est grâce au Sieur Descloseaux, magistrat royaliste dont les appartements dominaient ce cimetière que les exhumations de Louis XVI et de Marie-Antoinette furent possibles le 21 janvier 1815 sur ordre de Louis XVIII. Le Sieur Descloseaux acheta le cimetière dès sa mise en vente comme bien national, le clôtura et le laissa fermé pendant plus de vingt ans jusqu’au retour de Louis XVIII. Pourquoi cette patience qui fut royalement récompensée ? Lors des exécutions des 21 janvier 1793 pour Louis XVI et le 16 octobre 1793 pour Marie-Antoinette, le Sieur Descloseaux avait noté très précisément les emplacements où les corps furent inhumés. Ils se révélèrent exacts après vérification lors des exhumations. En 1794, la Municipalité de Paris préconise l’ouverture de quatre grands cimetières hors de la capitale mais les troubles politiques reportèrent de plusieurs années cette décision. Il faudra attendre que le premier Préfet du Consulat puis de l’Empire, Nicolas Fochot, le père du fameux Décret du 12 juin 1804 (23 prairial An XII) signé par Napoléon pour interdire effectivement les inhumations dans les églises. En conséquence, il oblige les communes à créer des cimetières en dehors des limites communales. Par ce décret, Nicolas Frochot et le successeur de Charles Guillaumot (mort en 1807), Héricart de Thury vont accélérer le transfert des cimetières parisiens aux catacombes. Ils firent faire en 1810 des travaux de restauration et d’agrandissement. On aéra l’ossuaire, on creusa des puits pour rendre les catacombes moins lugubres, une certaine décoration fut entreprise à l’aide de crânes, de fémurs et de tibias soigneusement rangés. Des sentences tirées de la bible ou de divers moralistes, furent disposées dans ce labyrinthe de galeries à 20 mètres de profondeur et qui s’étendent sur plus de 800 mètres. On peut estimer que les Catacombes contiennent environ 6 millions de corps sur une période de 40 générations. Ainsi reposent aux catacombes, Gens de robes, gens d’églises ou roturiers et beaucoup de révolutionnaires : (les Dantonistes dont Danton, Camille Desmoulins, Chabot…), Robespierre et l’impitoyable président du tribunal révolutionnaire, Fouquier-Tinville…). Tous, aux catacombes, sans distinction de rang ni de sexe se retrouvent « côte à côte » mandibules contre mandibules et peut-être continuent-ils leurs interminables discussions sur l’avenir de l’humanité dans la nuit de l’éternité. Sur le plan des mentalités, on peut observer que les autorités de l’époque ont pu, avec l’assentiment de la population, raser des dizaines de cimetières dans Paris sans beaucoup de difficultés. C’est que le culte des morts à l’époque était tout différent et l’histoire nous montrera que cet état d’esprit sera complètement modifié un siècle plus tard. Mais revenons sur le Décret impérial du 23 Prairial An XII (12 juin 1804) qui marque profondément l’histoire funéraire par les mesures innovatrices qu’il préconise et dont certaines sont toujours en vigueur de nos jours. Depuis trois ou quatre ans, Nicolas Frochot consulte beaucoup et travaille sur cette question qui correspond à un besoin profond de la société et à un souci de Bonaparte de vouloir ménager les intérêts du Clergé spolié par la Révolution. Il mobilise l’opinion publique par les politiques sur le scandale des inhumations effectuées dans des conditions épouvantables. Avec l’accord de tous, et pour mettre en application les mesures qu’il propose, il va se charger, avec les Autorités de la Ville de Paris, de la création et de l’ouverture du cimetière de l’Est dit « du Père-Lachaise », le 21 mai 1804 [1] Nicolas Frochot va être chargé de cette mission. Il achètera…. Par ce Décret du 23 Prairial An XII, Napoléon officialise ainsi de nouvelles pratiques dictées par Nicolas Frochot : Pour les cimetières : Aucune inhumation dans les églises ou lieux privés (sauf quelques exceptions : membres du Clergé, fondateurs d’hôpitaux [2] Suppression de la fosse commune et inhumation en fosse séparée. Obligation pour les communes de créer de nouveaux cimetières hors de l’enceinte des bourgs et des villes. Possibilité pour les communes de créer des cimetières confessionnels suivant les cultes professés dans les bourgs ou les villes. Acquisition possible par les familles de concessions de cimetière sous réserve de faire des donations en faveur des pauvres ou des hôpitaux. Les pouvoirs de police des cimetières sont attribués aux autorités municipales. Pour les pompes funèbres [3] Napoléon redonne la liberté de culte et l’exclusivité du service des pompes funèbres aux fabriques des Églises et aux Consistoires qui peuvent l’affermer à des entrepreneurs privés. Le mode de transport des corps le plus convenable sera réglé suivant les localités par les maires. L’application des mesures du Décret du 23 Prairial An XII se mettra en place, en France, peu à peu. Les communes créeront de nouveaux cimetières parfois confessionnels hors de leurs enceintes, en abandonnant, en partie et lentement les cimetières paroissiaux car les familles resteront longtemps attachées aux sépultures autour des églises… Ainsi la Ville de Paris transférera tout au cours du XIXe siècle la plupart de ces lieux de sépultures paroissiaux aux catacombes et ouvrira de grands cimetières comme le cimetière du Montparnasse le 25 juillet 1824 ou le cimetière de Montmartre, le 1er janvier 1825. Cette réforme législative des cimetières et des funérailles par Napoléon qui s’étendra d’ailleurs à une partie de l’Europe va favoriser l’émergence d’une nouvelle sensibilité des familles à l’égard de la mort. Elle va aussi modifier le déroulement des obsèques et l’aspect des cimetières par des rites sociaux et religieux mieux adaptés aux nouvelles mentalités. Comme nous l’avons vu, la nouvelle législation permet d’acquérir des concessions. Les demandes vont se faire pressantes et au cours du XIXe siècle, le législateur va devoir mettre en place des textes qui réglementent ces emplacements particuliers : Ordonnance [4] du 6 décembre 1843 prescrivant 3 classes de concessions : perpétuelles, trentenaires et temporaires. Les familles vont pouvoir rendre hommage à leurs défunts en faisant ériger des tombeaux. Ceux-ci prendront une importance considérable au XIXe siècle ; d’abord en forme de chapelle pour conserver les habitudes en analogie avec l’église d’autrefois puis de formes plus classiques. La campagne de Bonaparte en Égypte et la découverte de l’art funéraire égyptien influencera également la construction de monuments en forme de pyramides, obélisques, mastabas… Les plus grands artistes vont, par leur art, traduire dans la pierre, dans le bronze et par l’épitaphe, toute la palette des sentiments du romantisme à l’égard des morts et marquer ainsi tout l’amour et l’affection qu’ils suscitent. C’est le culte des tombeaux. Plus tard, à la suite de visites dans les cimetières parisiens, Napoléon III constate des pratiques indécentes pour l’inhumation des indigents. Ils sont inhumés en fosses certes, mais on superpose jusqu’à sept cercueils. Napoléon Premier avait bien supprimé la fosse commune, mais on avait contourné l’esprit de ses textes législatifs. Napoléon III décide, pour Paris, de faire enterrer les indigents en fosse individuelle. Paris compte alors 33000 décès dont plus de la moitié d’inhumations gratuites. Le Préfet Haussmann qui prépare le grand Paris qui verra le jour en 1860 par l’annexion de nombreux « villages » ayant chacun leur cimetière contigu à la Capitale se rend compte que ces cimetières vont se trouver à nouveau à l’intérieur de la nouvelle Ville de Paris et que l’inhumation de ces milliers d’indigents va demander beaucoup de place dont il ne dispose pas dans les cimetières existants. Pour régler ces difficultés, il envisage de créer une immense nécropole de 800 hectares pour les Parisiens, loin de Paris, et reliée par trains spéciaux. Il prépare ce grand projet avec ses ingénieurs et ses architectes et dans son esprit cartésien de grand urbaniste, il voudrait faire comme Frochot, au début du siècle, transférer tous les cimetières hors de Paris et pourquoi ne pas récupérer les terrains. Mais la mentalité a complètement changé. Autant on disait en 1786, aux temps des catacombes : « plus de cimetières dans Paris », autant on s’insurgeait à l’époque d’Haussmann en criant : « plus de Paris sans cimetières ». Le Préfet Haussmann se battra durant 20 ans pour son projet, mais devra finalement l’abandonner devant l’opposition des autorités municipales poussées par la population. La fin du XIXe siècle marque aussi largement l’histoire funéraire de notre pays. La troisième République agacée par certains abus de la part des cultes envers ceux qui ne partageaient pas leurs confessions va prendre sur vingt-cinq ans, une série de grandes mesures législatives et réglementaires pour laïciser les pompes funèbres et les cimetières. Tout d’abord, deux lois importantes concernant les cimetières : celles du 14 novembre 1881 et 5 avril 1884. Elles interdisent la création ou l’agrandissement de cimetières confessionnels (permis par le Décret du 23 prairial An XII), elles établissent la neutralité des cimetières et interdisent pour les inhumations toute distinction basée sur des critères religieux. Ces deux lois n’ont toutefois pas été étendues à l’Alsace et à la Lorraine. Ces lois restituent en quelque sorte au cimetière, son caractère de propriété communale car les Autorités religieuses pouvaient, au XIXe siècle, ne pas accepter les inhumations dans leurs cimetières confessionnels pour ceux qui ne partageaient pas leur foi. Une autre bataille juridique va durer sept ans pour aboutir à la Loi du 15 novembre 1887 sur la liberté des funérailles qui permettra à tout majeur ou émancipé de choisir, librement, le caractère civil ou religieux de ses funérailles et le mode de sépulture. Cette partie de phrase « et le mode de sépulture » est le texte qui, en fait, permet un autre mode de séparation que l’inhumation traditionnelle : celui de la crémation qui est ainsi légalisée et mis en pratique par un décret de 1889, année où le crématorium du Père-Lachaise ouvrira ses portes, une première en France ! Il faut dire que depuis deux décennies on reparle de crémation en France mais l’Église catholique y est fermement opposée. Pour appuyer les politiques soucieux d’équité en matière funéraire, la première association crématiste se créait à Paris ; elle comprendra de nombreuses personnalités qui feront avancer ce dossier malgré les oppositions religieuses et celle de l’administration ministérielle. Sous la pression des intégristes, le Pape prendra, en 1886, la décision de ne pas accorder de funérailles religieuses à ceux qui opteraient pour la crémation. Cette interdiction sera levée en 1964 lors de Vatican II. Enfin la loi du 28 décembre 1904 qui précède celle sur la séparation de l’Église et de l’État, réaménage le service des pompes funèbres en France (sauf pour l’Alsace-Lorraine). Dans ses grandes lignes, ce texte confie aux communes le monopole du service public des pompes funèbres dit « service extérieur » : les personnels, corbillards et véhicules de deuil, tentures extérieures des maisons mortuaires, cercueil et les travaux indispensables de cimetière. Il laisse aux cultes le « service intérieur » c’est-à-dire tout ce qui concourt aux cérémonies dans les églises, temples…: Les cérémonies cultuelles, les tentures intérieures et extérieures des édifices religieux, le matériel nécessaire et les personnels civils de cérémonies. Enfin cette loi, laisse dans le commerce libre les autres prestations ou fournitures qu’elle considère comme facultatives mais néanmoins nécessaires aux yeux des familles. Cette loi va réorganiser les pompes funèbres en France. Les grandes villes vont, dans l’ensemble, être amenées à créer des régies municipales comme Paris, par exemple, pour faire face à ses obligations et reprendre les personnels, les installations et les matériels détenus par les fabriques et les paroisses. D’autres villes, comme les paroisses d’ailleurs rechercheront des entrepreneurs spécialisés pour sous-traiter par voie de concession ce délicat service public. Cette loi complexe dans son application donnera lieu à moult contestations pour déterminer très exactement à quel service appartenait telle fourniture ou telle prestation. En ce début du XXe siècle, la crémation (non acceptée par l’Église catholique depuis 1886) se développe peu. Seules quelques grandes villes ont construit un crématorium : Paris (1889), Rouen (1899), Marseille (1907), Lyon (1914), Strasbourg (1922). Il faudra attendre 50 ans pour voir se construire un sixième crématorium en France. Au contraire le culte du cimetière se développe. Des textes réglementaires en 1924 et 1928 autorisent de nouvelles catégories de concessions (cinquantenaires et centenaires) et renforcent les droits des concessionnaires. La pompe des enterrements pour la population aisée est impressionnante par le décorum dont elle s’entoure: famille en grand deuil noir, tentures et chapelles ardentes de maisons mortuaires, corbillards magnifiquement décorés de tentures noires ou blanches et d’argent, rehaussés de plumets, tirés par des chevaux caparaçonnés, étrillés et sabots cirés, personnels portant livrées et bicornes, maîtres de cérémonies en grande tenue veillant au protocole civil et religieux, tentures et luminaires autour d’immenses catafalques d’églises et les cérémonies religieuses auxquelles participaient plusieurs membres du clergé suivant la classe que les familles choisissaient. L’assistance, surtout composée des femmes en noir, était fort nombreuse et formée de longs cortèges du domicile mortuaire à l’église par toute une population meurtrie dans ses moments douloureux des obsèques. Pendant les deux guerres mondiales, les fournitures et les prestations feront parfois défaut par les réquisitions aussi bien des autorités françaises que de l’ennemi (les hommes bien sûr mais aussi les chevaux, le bois, etc.). On peut dire, qu’aux XIXe et XXe siècles la pompe des funérailles faisait aussi partie du rang social dans la société de l’époque. À partir de 1955, plusieurs critères de notre vie moderne viendront bouleverser l’organisation de nos enterrements traditionnels chantés par Brassens. La motorisation des corbillards en sera une première étape. La densité de la circulation entraîne en cinq ans, la suppression des magnifiques corbillards à chevaux devenus trop lents pour le chemin de l’éternité. Les cochers pleurent leurs fidèles compagnons si patients, dressés au pas lent des cortèges et à l’écoute du Diès Irae des prêtres qui en donnent le départ. C’est l’adieu! Ils sont obligés, la mort dans l’âme, de conduire à l’abattoir, leurs chevaux devenus inutiles. Ils devront aussi passer leur permis de conduire pour garder leur emploi. Autre phénomène, on meurt de moins en moins chez soi mais dans un établissement de soins. Les réunions aux domiciles des défunts se font de plus en plus rares. Le choc de Vatican II sera aussi une période difficile pour les métiers du funéraire. L’Église catholique supprime sans crier gare, les classes d’enterrement, et surtout les tentures qui représentaient une activité très importante pour les entreprises. Le glas sonne pour les couturières et les tendeurs qui devront aussi se recycler. La pompe se meurt, la pompe est morte disions-nous, mais naissent les nouveaux services funéraires qui correspondent mieux aux mentalités. Personne n’y fait beaucoup attention dans les métiers du funéraire, mais une mesure très discrète, le Pape lève l’interdit de 1886 d’accorder des obsèques catholiques à ceux qui préféraient la crémation. Ce mode de « sépulture » est presque inexistant à l’époque : moins de 2000 cas sur 560.000 décès. Cette disposition n’aura pratiquement aucun effet jusqu’en 1976 mais avec du recul, on peut estimer qu’elle a fait partie des facteurs susceptibles de favoriser le développement que connaît aujourd’hui la crémation. À partir des années 1965, les soins de présentation qui sont de moins en moins assurés par les religieuses seront confiés aux professionnels. Pour mettre fin à ces odeurs de cadavres parfois insupportables moralement et physiquement, des entrepreneurs vont se spécialiser dans les soins de conservation par procédé dit I.F.T et par un nouveau produit : le carboglace, pratique et efficace dans ses applications. Les morgues des hôpitaux n’offrant pas l’accueil nécessaire aux familles, certains dirigeants d’entreprises ramènent d’un voyage d’études en Amérique, l’idée d’implantation et de gestion de chambres funéraires que l’on baptisera sous un vocable plus marketing :« athanée, funérarium ou maison funéraire ». Ces établissements offrent de réels services par la compétence d’accueil du personnel, aux possibilités de voir le défunt sans être astreint à des horaires de fermeture trop rigoureux, à la prise en charge du défunt et au grand confort des familles. Les directeurs d’hôpitaux sont intéressés pour confier la gestion de leurs morts à de tels établissements. Un décret en 1968 va réglementer les admissions des corps dans ces chambres funéraires et donner le pouvoir aux directeurs d’hôpitaux de prescrire, par convention, les admissions d’office. Le développement de ces établissements en partenariat avec les hôpitaux qui demandent des investissements importants et, donc réservé aux plus grosses entreprises, va soulever une tempête dans les métiers du funéraire notamment par les petites et moyennes entreprises de pompes funèbres qui voient là un moyen légal de détourner leur clientèle. Sous la pression de ces PME, une proposition de loi dénonçant l’extension de ce nouveau monopole des pompes funèbres et des pratiques qu’elles estimaient anticoncurrentielles est conduite par une parlementaire fort pugnace. Toute la profession se mobilisera sur ce sujet très discuté par l’Assemblée Nationale et le Sénat qui finalement ne changeront pas la loi. Des aménagements réglementaires seront néanmoins apportés pour éviter tout abus. C’était une des premières attaques contre ce vieux monopole des pompes funèbres datant de 1904 et qui commençait à ne plus être en accord avec l’esprit de consumérisme qui touche de plus en plus tous les secteurs d’activités. Parmi les nouveaux rites, la crémation va se développer à un rythme soutenu depuis 1976. Il est vrai que cette année-là une importante réforme réglementaire va simplifier grandement les formalités complexes mises en place au début du siècle et surtout apporter des innovations qui correspondent à des valeurs reconnues par certains crématistes : la remise des cendres aux familles, la dispersion au jardin du souvenir ou en pleine nature… Les villes et les entrepreneurs privés vont investir dans les crématoriums qui en 25 ans sont passés de 7 en France à plus de cent aujourd’hui. En optant de plus en plus pour la crémation (20 % des obsèques actuellement), les Français sont-ils en train de changer progressivement leur mode de sépulture ? C’est sûrement avec les soins de conservation, le changement le plus important en matière de rites funéraires de ces 25 dernières années. Les obsèques s’en trouvent modifiées sensiblement. De nouvelles formes cérémonielles apparaissent pour conférer aux cérémonies toute la dignité dont les familles ont besoin pour retrouver apaisement et réconfort. La crémation commence aussi à faire changer les aspects des cimetières qui de dotent progressivement de sites cinéraires destinés à préserver réellement le souvenir de ceux qui ont choisi ce mode de sépulture. Pour s’adapter aux mentalités de notre temps et au nouveau contexte économique, différents textes aboutiront à la loi du 8 janvier 1993 et à ses nombreux décrets d’application concernant la libéralisation du monopole des pompes funèbres que l’on connaît aujourd’hui. Ainsi, les rites funéraires se modifient lentement, mais ils bougent comme l’on peut s’en apercevoir dans ces quelques aspects de la longue histoire funéraire liée intimement à la vie des Hommes. Ils font partie de notre culture ; ils correspondent à un profond besoin des endeuillés lorsqu’ils sont signifiants et authentiques ; personne ne peut y échapper tout en sachant que les vraies peines finissent par se nicher au fond des cœurs pour ne plus pouvoir être partagées. Notes [1] Nicolas Frochot va être chargé de cette mission. Il achètera l’ancienne propriété des Jésuites occupée de 1676 à 1709 par le Confesseur de Louis XIV ; le vendeur, le Citoyen Baron Desfontaines, ruiné par les temps révolutionnaires, cède, la mort dans l’âme, cette magnifique propriété de dix-sept hectares, située à l’époque en dehors des limites de Paris. Pratiquement un siècle, après sa mort, le Père Lachaise est encore très présent dans les esprits ; les Parisiens n’adopteront jamais la dénomination de l’administration « le cimetière de l’Est », « mais l’appelleront « le cimetière du Père-Lachaise ». [2] Nicolas Frochot était aussi le Père de l’Assistance publique ; il va favoriser la création des hôpitaux et rechercher des fonds : pose de troncs pour les pauvres dans les cimetières, quote-part des prix des concessions de cimetières …). [3] Avant sa disgrâce par Napoléon, Nicolas intervient à nouveau, en 1811, dans le domaine des pompes funèbres et organise avec les autorités compétentes, le service des pompes funèbres à Paris fixant six classes de convois et le principe de l’adjudication du service à un seul entrepreneur. [4] Aucune concession ne peut avoir lieu qu’au moyen du versement d’un capital, dont les deux tiers au profit de la commune et un tiers au profit des pauvres ou des établissements de bienfaisance. Moreaux Pascal, « Quelques aspects de l'histoire funéraire dans la civilisation judéo-chrétienne en France », Études sur la mort, 2004/1 (no 125), p. 9-21. DOI : 10.3917/eslm.125.0009. URL : https://www.cairn-int.info/revue-etudes-sur-la-mort-2004-1-page-9.htm
Quelques aspects de l'histoire funéraire dans la civilisation judéo-chrétienne en France Par Pascal Moreaux (2004)